Kirsten paraît, aux premiers abords, comme étant une adolescente très humaine et très normale. Sa longue chevelure blonde, épaisse et légèrement ondulée, et ses yeux bleus, cachant malgré eux une petite teinte presque violacée, sont inhabituels, attirent les regards, mais ne font dire à personne qu’elle est extraordinaire. Non, son héritage génétique se cache plus loin que sa peau naturellement de porcelaine, à la teinte de lait, plus loin que ses beaux iris et son petit sourire rosé. Le témoin le plus évident de son côté dryade est la forme de ses oreilles, un peu pointues, qu’elle s’évertue à couvrir par des cache-oreilles ou des chapeaux lorsqu’elle se glisse chez les humains. Dans la forêt, dans son chez-elle, elle a appris à ne plus se cacher. De toute façon, difficile de renier son lien à la forêt lorsque des fleurs poussent constamment derrière soi.

Oui, Kirsten est une jolie fille. Elle a encore une apparence jeune, des joues rondes, un corps assez petit d’un mètre soixante exact, des formes pas tout à fait encore définies ; cela cache bien son réel âge, qui se rapproche davantage de la retraite humaine que de la fête au bar des dix-huit ans.

Sa garde-robe est assez modeste. Plus souvent en robe ou en jupe qu’en pantalon, elle reste assez pudique dans sa façon de s’habiller, et un peu coquette, aussi. Malgré tout, elle revêtit généralement des couleurs un peu neutres ou fades, pas trop voyantes. Attirer l’attention n’est pas son but ; déjà qu’elle le fait naturellement, à cause de sa magie, en rajouter une couche ne serait certainement pas bénéfique à sa légère anxiété.

Timide, cela paraît aussi dans sa façon de se tenir, dans ses mouvements. Ses pas sont courts et un peu lents ; elle n’est pas particulièrement sportive de toute façon, malgré sa maigreur. Sa tête est souvent orientée vers le sol, son regard pratiquement jamais posé sur son interlocuteur. Kirsten a également l’habitude de se ronger les ongles lorsqu’elle est nerveuse ou de se frotter les mains. Elle doit bouger lorsqu’elle se sent mal pour gérer sa nervosité. Celle-ci paraît d’ailleurs très facilement dans sa voix ; faible, aiguë, elle ne porte pas beaucoup naturellement. Pour se faire entendre, il lui arrive de devoir crier. À son plus grand malheur, elle craque ou tremble facilement, lorsqu’elle essaie de la forcer. Son chant n’est pas mauvais, non plus, mais elle n’a pas les poumons pour porter loin. Dommage, parce qu’elle aurait fait une magnifique Blanche-Neige, parmi oiseaux et daims à l’orée de la clairière.

Fragile, timide, ou peureuse. Tous seraient des mots qui décriraient bien Kirsten, qui n’a jamais été la fille la plus courageuse du quartier. Délicate, féminine, on pourrait plus la qualifier de gracieuse. Comme un ange en verre, ou une poupée de porcelaine.

Elle a peur de beaucoup de choses. La première, et la plus importante, étant le feu ; symbole de la destruction, il est aussi une menace particulière envers ceux de son espèce et la forêt, sa maison, là où elle retrouve une partie d’elle-même naturellement. Plus que pour elle-même et que pour ceux qu’elle aime, son courage ressort plus facilement pour protéger ce pour quoi elle existe. La nature, les plantes, l’intouché des mains de l’homme. Non pas qu’elle refuse de mettre son pied à terre pour eux, ceux à qui elle tient plus que tout, mais elle n’arrive pas à trouver la force. Sa plus grande force, son courage, devrait plutôt être qualifié d’instinct, car c’est ce qu’il est. Un besoin naturel d’empêcher la destruction de la Terre comme elle aurait dû l’être, voilà tout. Les autres pourraient facilement être décrites : les monstres, ceux qui la menacent. Les interactions, celles qui la font se sentir inadéquate, pas assez jolie, pas assez intéressante.

Malgré sa passivité presque intuitive, la demi-dryade cache une certaine curiosité en elle. Si quelque chose chez elle crie ‘’obstinée’’, c’est sa curiosité et sa persistance. Les défis ne lui font pas exactement peur ; si quelque chose pique son intérêt, mademoiselle Lewis s’acharnera à se renseigner à son sujet, peu importe les embûches. Elle est d’ailleurs très difficile à faire changer d’avis. Si elle se lance dans quelque chose, il faut de très, très bons arguments pour qu’elle s’arrête. Passive dans l’âme, mais avec des convictions assez fortes. Son intérêt est d’ailleurs piqué lorsqu’elle s’aperçoit que quelque chose de mauvais se trame. Elle n’aime pas trop s’en mêler, mais ne se privera pas de mettre des bâtons dans les roues des fautifs avec subtilité.

Ses parents, personnes très importantes dans sa vie, lui ont toujours appris à être bonne avec son prochain ; ainsi, elle fait toujours de son mieux pour tendre sa main à ceux qui sont dans le besoin. Cependant, elle a du mal à pardonner à ceux qui lui ont fait du mal et peut s’avérer menteuse ou cruelle avec ceux qu’elle ne peut pas blairer. Derrière son sourire adorable et une certains générosité naturelle, la même qui la pousse à aider les voyageurs perdus à retrouver leur chemin, elle peut se montrer plutôt rancunière et faire quelques coups bas. Pourtant, elle ne rira pas du malheur des autres, même si elle l’a elle-même produit ou voulu ; une certaine empathie naturelle la rendent plus prompte à se sentir coupable qu’autre chose. Une victoire salée.

Kirsten a toujours eu une facilité plus grande à devenir amie avec les animaux qu’avec les gens. Elle n’aime pas particulièrement se tenir autour des autres, donc elle s’isole très souvent. Pourtant, ça ne veut pas dire qu’elle s’ennuie beaucoup. Ses heures de solitude sont souvent investies dans des hobbies, les principaux étant la cuisine et le jardinage. Dans une autre vie, elle aurait adoré devenir pâtissière. Cependant, vu qu’elle habite désormais loin de la ville et de sa pollution lumineuse, elle a commencé à s’intéresser à l’astronomie et aux sciences. Elle n’a jamais été très bonne en mathématiques, alors toute cette partie-là lui échappe, mais les corps célestes, leurs composantes, leur vie et leur longévité, tout cela lui met des étoiles dans les yeux. Elle n’aime pas trop le complexe ; le simple lui suffit dans la vie.

Ses émotions sont assez faciles à lire. Son visage comme ses manières sont expressives. Ça ne l’empêche pas d’être une assez bonne menteuse, mais elle n’est pas connue pour être particulièrement stoïque. Au contraire, elle a du mal avec les personnes trop dures à lire ; elle est plus gênée, plus nerveuse en général. Pourtant, elle a aussi envie de les aider à faire ressortir leurs émotions. Un mélange de sentiments étrange, mais qui est bien à elle.

La perte de son père, bien qu’elle fut il y a une décennie et impossible à empêcher, vu la longévité différente de leurs espèces, l’a tout de même extrêmement touchée. Il est plus facile pour elle d’être triste, de perdre son intérêt, de ne vouloir rien faire pendant quelques jours à la fois. Les souvenirs de parents la rendent jalouse, les familles heureuses aussi. Bref, elle se sent un peu vide depuis. La perte d’un être cher n’est jamais facile à accepter.

Née à Londres dans les années 1980, Kirsten est la fille d’une dryade et d’un homme impossible de faire plus ordinaire. Ses parents se sont rencontrés par pur hasard, dans un monde où le surnaturel n’est connu que d’une minorité chanceuse, dans une forêt du nord de l’Angleterre. Fille unique, elle a hérité de certaines des caractéristiques de sa mère, qui font d’elle un hybride, notamment de sa longévité. Elle entra donc à l’école pour la première à dix ans ; à la maternelle, qui plus est. Heureusement, ses parents, propriétaires d’une pâtisserie de renommée, n’avaient pas d’engagement auprès d’un patron spécifique.

Sa vie à l’école fut difficile pour elle. Grandissant lentement, TROP lentement, elle dut changer souvent, prendre plusieurs années de pause entre chaque niveau… Ce fut une période compliquée pour ses parents que son enfance. Pour elle, aussi. L’amitié ne lui venait pas naturellement. Les autres enfants avaient tendance à la trouver un peu étrange, bien que fascinante. Les regards qu’elle attirait ne lui plaisaient pas.

Lorsqu’elle atteint ses trente ans, qui en faisaient environ la moitié si on parlait à un niveau plus physiologique, son père décida d’emménager dans une petite ville américaine. Malade, il dut laisser le business aux bons soins de sa femme, le temps de se rétablir dans un endroit lointain, éloigné du stress et plein d’air frais. Les parents de la jeune blonde décidèrent que ça serait une bonne idée pour repartir à zéro au niveau de son éducation, donc elle dut partir avec son géniteur à l’autre bout de la planète, avec comme espoir de peut-être en ressortir avec un diplôme. S’habituer à son nouveau chez-soi fut difficile, mais elle finit par se faire quelques amis, par aimer sa chambre et son jardin et la vue à sa fenêtre.

Hélas, pas tout se passa comme elle l’avait prévu. Là-bas, dans la forêt, elle rencontra quelqu’un qui devint vite très important pour elle, Marwin, qui ne la jugeait pas, qu’elle arrivait à regarder dans les yeux et qui lui montrait une sorte de compassion dans sa froideur. Un nid à surnaturel, voilà ce qu’était la petite ville proche de laquelle ils se sont aperçus pour la première fois. Voilà ce qui les avait rassemblés, sûrement par la force du destin.

Elle eut également le malheur de voir sa belle nature partir en cendres sous ses pieds, un beau jour où l’eau de la rivière devint magique et transforma humains et créatures en ce qu’ils n’étaient pas. Un événement sans conséquence, vraiment, mais qu’elle ne put jamais oublier par après. Elle découvrit un côté un peu différent d’elle-même. Un côté moins parfait, un côté plus agacé, moins chétif et apeuré. Des traits de personnalités qu’elle sait qu’elle pourrait avoir, mais qu’elle n’arrive pas à retrouver.

La vie, presque tranquille, changea lorsque la ville fut attaquée et réduite en poussière. Kirsten et Marwin réussirent à en ressortir en vie, mais pas son père. Prise de deuil, elle le suivit à Night Vale sans but, triste. Depuis, sa vie est la même. Calme, sans aventure, mais comme elle l’a toujours voulue. Paisible. Sa cabine dans la forêt chuchotante est la seule maison dont elle a besoin pour être heureuse, se dit-elle, elle-même incertaine.

Au moins, le chuchotement des arbres ne la laissera jamais seule dans le silence.